Olivier Aba et une demi-dizaine de jeunes du village Tête d’éléphant situé en bordure du Parc national de Deng Deng dans la région de l’Est Cameroun, se sont engagés à contribuer à la surveillance de l’aire protégée. Une entreprise émouvante qui vise à dissuader les exploitants du parc.
Jeudi 3 mars 2022, il est 6h dans le village Tête d’éléphant. Les observateurs communautaires (OC) se réunissent devant la chefferie autour du chef de groupe Olivier Aba pour une petite réunion de concertation afin de préparer la descente en forêt. Pour relever les indices d’illégalité, il faut bien préparer la patrouille.
Les observateurs sont choisis sur la base de certains critères dont la connaissance du territoire, la communication facile, la disponibilité, l’aisance à la mobilité et l’intégrité. Avant d’engager la patrouille dans le parc pour relever les indices, les fiches de collecte de données et l’état des GPS sont vérifiés au moindre détail. Une heure trente minutes après la réunion de préparation, c’est le départ pour la forêt.
Après six kilomètres de marche sur la voie carrossable qui relie le village Tête d’éléphant au village voisin, on bifurque sur une piste piétonne qui mène à la limite du parc. C’est le début de deux jours d’aventure à l’intérieur du Parc National de Deng Deng.
Prière avant la patrouille en groupe
Après une courte prière à l’entrée du parc, les observateurs communautaires se divisent en deux groupes de 3 personnes et le travail peut commencer. Le deuxième groupe a pour chef Aba, jeune homme de 26 ans, baraqué et de taille moyenne.
Après 2 km de marche à l’intérieur du parc, un premier indice d’activité illicite est découvert, il s’agit d’une piste agricole. Les OC en prennent les coordonnées géographiques et les notent sur les fiches de collecte. Selon Aba, la piste aurait été aménagée par un agriculteur pour sortir son maïs cultivé dans le parc vers le village. Aba et son équipe décident de suivre cette piste.
Champs de pistache dans le parc
L’autre petit groupe d’observateurs tombe sur une piste de chasse. Le même processus est effectué: prise des coordonnées géographiques et annotations sur la fiche de collecte de données. Cette piste de chasse est presque fermée, selon l’équipe. En fin de saison sèche, expliquent-ils, il n’y a pas d’animaux bons à chasser et à vendre dans ce segment du parc national de Deng Deng. Ils parlent ainsi des pangolins, des cytatonga, des singes, des gorilles et même des éléphants, des gibiers qui selon eux coûtent cher sur le marché.
Poursuivant leur chemin, les observateurs se retrouvent dans une petite vallée qui abrite une rivière et marécage qui n’ont plus d’eau mais autour desquels les gens ont commencé à défricher pour faire un jardin. En amont de la vallée se trouve un grand champ d’environ 2 hectares de pistache associé au plantain en phase de récolte. Juste à côté, un piège pour protéger le champ contre les rongeurs.
Pour les agriculteurs c’est une façon de résoudre le problème homme-faune, situation où les animaux mangent et détruisent les cultures dans les champs des populations. Tous ces indices d’illégalité sont notés sur la fiche de collecte des données avec leurs coordonnées géographiques.
Des bases vie au milieu du parc
Un campement agricole est établi non loin du champ de pistache en phase de récolte, constitué de 5 cases avec deux greniers remplis de maïs sec. Dans un coin du campement, des sacs de pistache sont prêts pour être transportés au village. Un papayer, des poules et poussins confirment qu’on est dans la basse-cour une d’une base vie en bonne et due forme. Mais le propriétaire est absent des lieux.
Ce campement est entouré de plusieurs autres champs en phase de récolte, et des champs en création. Les coordonnées géographiques de ceux-ci sont également relevées par les observateurs communautaires.
A trois heures de ce campement, un peu plus à l’intérieur du parc, est découvert un autre campement, cette fois constitué de 6 cases. Le propriétaire est présent, sa femme, ses enfants et ses employés cassent les cabosses de pistache pour certains et d’autres égrènent le maïs. Les données sont également collectées par les OC. Le propriétaire les invite à manger de la sauce d’arachide avec des ignames. Pendant le repas, il fait savoir que c’est parce que les observateurs communautaires le sensibilisent tout le temps qu’il n’arrive pas à bien s’installer, sinon, il y a longtemps, il aurait construit une maison en briques et tôlée à la place de la paille. Il se dit que ce propriétaire est arrivé dans la contrée avant la création du parc. Maintenant, les services de la conservation lui demandent d’abandonner les terres où il fait ses champs depuis 23 ans. D’où sa résistance. Il souhaiterait être dédommagé avant d’arrêter toute activité. Ses champs couvrent environ 12 hectares.
Le problème foncier est réel à l’intérieur et autour du parc.
Une heure de marche plus tard, à 17 heures, c’est le repos dans un campement sans cases mais avec des nattes. C’est celui des femmes Bororo, ouvrières dans les champs agricoles et pêcheuses de poisson et de crevettes. Les observateurs communautaires vont y passer la nuit, à la belle étoile. Ce campement est situé près de la rivière appelé Mingale, dans laquelle ils ont ramassé quelques crevettes pour manger dans la sauce du Mbol avec le Kam (nom local du couscous de manioc). Pendant ce repos, ils font le point de la journée et préparent la prochaine journée. Le lendemain au lever du jour, après avoir préparé les fiches et vérifié les GPS, ils boivent chacun une tasse de chai (thé local) et reprennent le travail.
Déforestation et agriculture sur brûlis
Ce jour, le premier indice d’illégalité géoréférencé est un câble de chasse dressé à côté d’une grande superficie de forêt déforestée par le feu de brousse. Sur cet espace est pratiquée l’agriculture itinérante sur brulis qui fait pression sur le couvert végétal dans le parc.
A 2 kilomètres de là où les observateuurs communautaires ont dormi, près de l’autre embranchement de la rivière Mingale, ils ont trouvé d’autres câbles de chasse et des babouches abandonnés ; la preuve qu’un chasseur les a entendu arriver et a pris fuite.
Non loin de là, on voit des bambous de raphia brulés par les feux de brousse pour le champ. L’agriculture itinérante sur brûlis est donc le moteur de la déforestation dans le parc national de Deng Deng.
Après deux heures de marche en ce deuxième jour de patrouille, vers 13h, les jeunes prennent le chemin retour. Sur environ 4 km, ils relèvent plusieurs autres indices d’illégalité dont 6 pièges à ration, 4 vastes champs agricoles en création (indice de déforestation), un arbre de pachi en feu, des champs de plantain, de piment et d’igname.
Aba et son équipe aperçoivent également quelques rongeurs, des serpents des groupes de plusieurs types et un campement agricole. Vers l’autre embranchement de la rivière où ils se sont à nouveau reposés, ils se désaltèrent et attendent 15h, l’heure de rencontre avec le premier groupe d’observateurs afin de sortir ensemble de la forêt.
Retour au village
Une fois au village, sous un arbre et autour d’un bidon de Mbatoro (vin local), c’est la confrontation des fiches. Olivier se rassure que les données ont été bien collectées par chaque groupe. Les douilles et les câbles de chasse retrouvés dans le parc sont rassemblés dans un seul paquet, les difficultés rencontrées sont exposées, et des propositions de solutions sont émises et notées par Jean, un autre jeune homme de 29 ans.
Les doléances et plaintes des personnes qui pratiquent des activités illégales dans le parc sont également relevées. Tous ces éléments sont remis aux agents du Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD) pour une analyse en vue de la publication des données.
Ayant fait cette patrouille effectuée pendant la saison sèche, les observateurs communautaires n’ont pas eu la chance de croiser les éléphants, les primates et autres grands singes. Cela s’explique par le fait que ces animaux migrent vers le village Deng Deng et dans le parc du Mbam et Djerem pour ne revenir qu’en pleine saison des pluies quand il y a de la verdure et des fruits qu’ils aiment manger.
A la fin de cet émouvant parcours, les observateurs se reposent afin de recharger les batteries pour la prochaine aventure. Selon eux, seule la surveillance communautaire permettra à leurs enfants et aux générations futures d’avoir aussi du gibier à manger.
Franck Ndjodo