Cameroun : Corruption et arnaque asphyxient le transport du bois légal

Dans les check-points, postes forestiers et de gendarmes routiers, le bois légal subit les mêmes affres de la corruption que le bois illégal. 150.000 à 350.000 FCFA de frais de route informels selon le type de chargement du bois. Les responsables des forêts communautaires sont asphyxiés.

A bord du camion dix roues pris en location à Bertoua, Isaac M. convoie en direction de Yaoundé du bois légal et traçable. 345 pièces de l’essence Dabéma (pour un total de 30 m3 de bois débité) sont étiquetées, martelées et soigneusement classées dans l’engin. La cargaison vient de l’arrondissement de Doumé dans le département du Haut-Nyong pour le compte de la forêt communautaire Tsoung-Amandé.
Au départ de Doumé le 18 octobre 2021, il est 19h00, le temps est favorable, les nuages sont lointains et le chauffeur qui est à sa première expérience s’empresse de prendre la route. 280 km à parcourir en 4h30 minutes en moyenne pour l’arrivée prévue à Yaoundé à 0h au plus tard.
Pour Isaac rien ne peut ralentir le voyage. Le dossier du véhicule est complet, le bois est légal et traçable, la lettre de voiture, document délivré par l’administration forestière est disponible.
1h10 minutes de parcours et voilà le check-point de Mangpang à Abong-Mbang. Le chauffeur approche la barrière, l’éclairage d’une lampe torche le dirige, il finit par s’immobiliser. Documents en mains, Isaac descend du véhicule. Présentée, la lettre de voiture est passée au scanner. Elle passe de main en main, son contenu semble être difficile à interpréter. Entre Isaac et les agents, les débats sont houleux. A la lecture de la lettre de voiture, l’on apprendra tout de même que le Certificat Annuel d’Exploitation de la forêt communautaire Tsoung-Amandé lui confère pour l’année 2021 une superficie 161 hectares de forêt à exploiter. Après 45 minutes de débats, Isaac déboursera la 15.000 FCFA et le véhicule est libéré. C’est l’affranchissement. L’on entendra tout de même le chef de poste souligner: «Si je vous libère à ce prix, c’est parce que c’est notre premier contact. En réalité une forêt communautaire ne passe pas ici comme ça».
Reprenant la route aux environs de 21h, le camion semble rassurer son équipage. Pas encore un problème technique ni de panne mécanique. Il est 23h10, c’est le poste forestier du village Akok-Maka à Ayos. Le village est situé à quelques mètres du fleuve Nyong, le froid est à son comble. Un feu de bois réchauffe les agents forestiers.

Eléphant de l’Est
Les documents de transport du bois sont présentés, le même exercice repris. Ici, le chef de poste parvient à trouver une infraction, selon lui d’après le recomptage des pièces de bois effectué par ses agents, les débités sont supérieurs au nombre déclaré dans la lettre de voiture. Il décide de passer à l’audition en ouvrant un contentieux.
Après 1 heure de temps dans les discussions, le contentieux ne sera jamais ouvert. Mais une somme de 20.000 FCFA lui sera remise, contrepartie pour libérer le camion. L’horloge du tableau de bord affiche 0h20 minutes.
41 km séparent la ville d’Ayos au carrefour Akonolinga. Au lieu-dit «Carrefour 14», pesage, contrôle de gendarmerie et poste forestier se côtoient. Il est 01h15 minute; on est donc déjà le 19 octobre. Gendarmes et forestiers vont tour à tour contrôler la cargaison. Côté gendarme, tout va très vite se passer, la somme de 10.000 FCFA a été introduite dans le dossier du véhicule présenté par le chauffeur. Au même instant, Isaac présente le même montant à l’agent forestier en poste. Ce dernier évoquera le caractère minable de cette somme au regard du nombre d’agents présents au poste ce jour. «Tu portes un gros Eléphant de l’Est et tu me donnes dix mille? Nous sommes combien dans le poste ?» questionne l’agent, qui exige une augmentation à hauteur de 20.000 FCFA. Somme qui lui sera remise pour un total final de 30.000 FCFA laissé entre les mains des gendarmes et forestiers. Dans ce poste, le bois des forêts communautaires est appelé «Eléphant».
A 02h20 minutes, le camion reprit la route et atteint le poste forestier d’Olanguina situé au village Ayéné à 03h05 minutes. Le poste dispose d’un écran télé dont les images distraient les agents forestiers pendant la veillée.
Ici, les étiquettes de traçabilité et de légalité du bois sont méconnues. «C’est nouveau, ces étiquettes?» interroge un agent. De nouveau, le camion fera l’objet d’une inspection au même titre que la lettre de voiture. Après 30 minutes, la barrière érigée sera levée et malgré la confirmation du caractère légal du bois, une somme de 15.000 FCFA sera remise aux agents en poste.
Dans les postes de Mbama, Elat, Nkoabang et Nkomo, Isaac dépensera 70.000 FCFA.
Parti de Doumé le 18 octobre à 19h, le camion de bois arrivera à Yaoundé aux environs de 5h00 le 19 octobre.
Ce transporteur aura déboursé près de 150.000 FCFA pour transporter jusqu’au lieu de vente un petit camion de bois légal d’une forêt communautaire. Ce montant peut s’élever à 350.000 FCFA, voire plus, quand il s’agit d’un chargement dans un camion semi-remorque.

Magloire Biwolé Ondoua

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