Cameroun : Débat, Le cacao, une culture coloniale ? Oui, mais !

La question a été mise en débat par La Voix Du Paysan en janvier 2022 en ces termes : «le cacao est-il une culture coloniale : oui ou non? Argumentez.» 75% de réactions fustigent la cacaoculture comme étant imposée par le colonisateur. 25% sont favorables à sa promotion, pourvu que le cacao soit transformé sur place pour développer l’économie locale. Quelques propos des lecteurs sont repris dans ce dossier qui rapporte l’expérience d’un artisan chocolatier camerounais.

C’est une forme de colonialisme agricole

La culture du cacao tout comme celle du café peuvent être considérées comme coloniales, car les prix ne sont pas fixés par l’association des producteurs, ils dépendent des importateurs étrangers qui ont le monopole sur ces cultures et peuvent décider d’augmenter le prix du kilo ou de le baisser à leur convenance.
Les agriculteurs n’ont pas un entier contrôle sur le secteur. Ce qui constitue en quelque sorte une forme de colonialisme agricole, car il n’y a pas une possibilité d’arrangement ou de compromis autour des prix entre les deux parties (agriculteurs et importateurs étrangers). Ceux qui produisent les matières premières agricoles sont sous l’autorité des importateurs possédant la monnaie et les moyens de transformer à l’échelle industrielle (argent et moyens technologiques). Ces derniers sont en position de force et d’imposition de prix.
Le secteur du Cacao au Cameroun en particulier, et en Afrique en général, est encore très primaire; ce qui ne favorise pas une bonne valorisation de la filière qui permettrait aux acteurs locaux de vivre décemment des efforts fournis.

Pierre Idriss

Le cacao sert les intérêts de l’occident

Le cacao ne nourrit pas l’Afrique. Il sert les intérêts de l’occident. Le kilo est acheté en monnaie de singe. Le chocolat est vendu plus cher que le cacao. Ils déterminent les coûts. Nous travaillons au champ. Ils transforment là-bas. Nous ne consommons même pas de chocolat.
Il nous faut cultiver ce que nous consommons sur place. Le riz est plus important. Il faut remplacer le cacao par les cultures de banane, de patate douce, d’igname, bref par nos cultures traditionnelles camerounaises.
Sortons du colonialisme.

Rev Norbert Ottou Owona

L’agriculteur n’y a aucun contrôle

Les colons sont arrivés, brandissant l’agriculture comme moyen de développement économique, sauf que les produits qu’ils promouvaient comme le cacao devaient servir leurs intérêts. Le produit est essentiellement consommé en occident et en même temps ne permet pas à nos paysans de se nourrir.
Le cacao restera et demeurera un stigmate de la colonisation. En ceci que nous produisons et ce sont les autres qui fixent le prix depuis le marché européen. Le petit agriculteur n’y a aucun contrôle.

Joseph Macaire Mfomo

Nous pouvons transformer notre cacao

Si par culture coloniale on entend culture implantée dans les colonies afin de satisfaire les besoins des colons et de leurs peuples, en surexploitant le colonisé et en le maintenant dans l’esclavage et la pauvreté, je dirais que le cacao a été une culture coloniale. Car seuls les Européens pouvaient utiliser le cacao produit dans les colonies.
Mais sans être historien, je dirais que le cacao s’est bien vendu à une époque et les planteurs se portaient plutôt bien dans la cacaoculture. Il suffisait aux planteurs de cultiver ce qu’ils allaient manger (maïs, igname, macabo, manioc, etc.) durant l’année. De toutes les façons s’ils ne le faisaient pas, qu’allaient-t-ils manger?
Mais à un moment donné, les prix ont tellement baissé que l’effort fourni au champ n’était plus compensé par les ventes des fèves. C’est en ce moment que le sens de culture coloniale commençait à entrer dans l’esprit des planteurs. Si tu ne liquidais pas ton cacao, qu’allais-tu en faire?
Alors, le cacao appauvrit-il actuellement le planteur? Si l’on dit oui, pourquoi donc nos planteurs n’abandonnent pas cette culture? Je ne peux pas accepter l’idée répandue selon laquelle le cacao n’entretient que la force de travail du planteur esclave.
Nous pouvons transformer le cacao actuellement, en plusieurs sous-produits. Jusqu’à revendre hors du pays. Les acheteurs eux-mêmes proposent déjà des bons prix pour des produits de meilleure qualité. Désormais nous pouvons aussi décider des prix.

Douglas Beumo

Aucune culture en elle-même ne peut être dite «coloniale»

Amon avis, aucune culture en elle-même ne peut être dite «coloniale». C’est la manière dont elle est gérée qui la rend parfois (hélas souvent) non seulement «coloniale» mais «esclavagiste».
Pour le cacao, si les paysans producteurs ne sont pas fédérés en coopératives puissantes, ils se feront exploiter non seulement par des colons étrangers, mais par leurs concitoyens qui ne voient que leurs intérêts. J’en ai été témoin des années dans le Mbam et Kim pour ce qui est du cacao et dans l’Extrême-Nord pour le coton. Cela, hélas, n’a rien de nouveau!

L’autosuffisance alimentaire d’abord

Autre aspect: on ne doit jamais faire passer ces cultures avant l’autosuffisance alimentaire familiale, ou au moins régionale, ni faire travailler les enfants au lieu de les envoyer à l’école.
Je mange du cacao avec plaisir. C’est peut-être vous qui l’avez cultivé, mais je trouve que je ne le paie pas assez cher, signe qu’on vous exploite. Bon courage !

Xavier Laurent

 

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