Cameroun : La terre ne trompe pas … mais les diplômes trompent parfois

Pierre Mpah Madje a regagné le Cameroun en 1971 bardé de diplômes obtenus dans les universités allemandes. Mais il choisit de faire carrière dans l’agriculture. Aujourd’hui il conduit une exploitation pastorale moderne à Bomono Babengué, à 18 kilomètres de Douala. Il évoque ici les raisons de ce choix insolite pour beaucoup.

Pierre Mpah Madje: C’est depuis l’Allemagne que j’ai pris goût à la chose agricole.

La Voix du Paysan: Vous êtes rentré au Cameroun en 1971 bardé de diplômes universitaires. On se serait attendu à ce que vous fassiez carrière dans l’administration ou dans une entreprise parapublique ?

P.M.M.: Je n’ai pas voulu y entrer et avoir le dos courbé devant un bureau et des climatiseurs. J’ai préféré me lancer dans la nature, me faire chauffer carrément au soleil, avoir à lutter avec les intempéries comme tout bon ingénieur allemand, jamais en costume.

LVDP: Au départ certains ont dû estimer que vous étiez fou !

P.M.M.: Tout à fait ! Abandonner une villa de haut standing à Douala ou Yaoundé pour aller vivre dans une petite cabane avec des bûchettes d’allumette et une lampe tempête.

LVDP: Quels sont les animaux que vous élevez dans votre exploitation ici à Bomano-Babengué?

P.M.M.: J’élève des porcs, des chèvres, des moutons, des poules, des boeufs et du poisson. En même temps mes femmes cultivent du macabo, des fruitiers, etc. car ici je suis propriétaire de dix hectares de terrain. J’ai près de 700 porcs, 100 bœufs, 500 chèvres et moutons, j’élève souvent jusqu’à 3 000 poulets.

LVDP : Comment réussissez-vous à élever des bœufs dans la province du Littoral quand on sait que la mouche tsé-tsé sévit ici ?

P.M.M. J’ai reçu la race Ndama, les demi-sang de charolais, la race Limousin. Certaines de ces races, je les ai obtenues grâce à l’insémination artificielle je suis à un stade expérimental et ce n’est qu’après quelques années que je pourrais conclure si oui ou non on peut élever convenablement des bœufs dans le Littoral

LVDP : Comment nourrissez-vous tous vos animaux?

P.M.M. Je fabrique moi-même la provende à partir des ingrédients que je trouve sur place ou que je produis moi-même. J’ajoute des herbes fraîches à leur alimentation.

LYDP: Vous avez choisi de fabriquer vous-même votre provende ? Pourquoi ?

P.M.M. En fabriquant moi-même ma provende, je connais bien les ingrédients et la viande de qualité que je compte produire. Pour la provende du porc par exemple je la fabrique à partir de la drèche des brasseries, plus le maïs, le sel, le tourteau de soja ou d’arachide et du concentré à 10, 15, 20 et jusqu’à 40%, en fonction de l’âge et de l’état des porcs. Ensuite, quand vous fabriquez vous-même la provende pour vos bêtes, son prix de revient est nettement bas.

LVDP : Comment est assurée l’alimentation en eau des bêtes dans votre exploitation?

P.M.M: Au départ, j’allais puiser de l’eau à plus de sept kilomètres pour alimenter mes bêtes, maintenant, j’ai un forage qui me donne une eau potable. Nous la buvons, ma famille et les bêtes. Mon forage a 60 mètres de profondeur.

LVDP : Combien de personnes travaillent dans votre exploitation?

P.M.M: Huit personnes, y compris mon épouse et mon premier fils. Dans l’exploitation il y a toujours des œufs, des poules. Quand on abat les animaux il y a de la viande et des abats pour ma famille, le plantain, la patate, le macabo, les fruits sont rayés des achats que ma famille doit effectuer car nous en produisons abondamment ici-même…

LVDP: Quand vous jetez un regard en arrière, qu’est-ce que vous-vous dites?

P.M.M.: Je vous ai montré ma première habitation ici, il y avait ma chambre tout juste à côté de mon poulailler avec mes 35 poussins. Après mes 35 poules, un cousin m’était venu en aide avec 215 poussins. C’est là mon départ! Si mon cousin m’avait trouvé avec les mains dans les poches ou en train d’arpenter les couloirs des ministères avec des demandes d’emploi, il ne me serait jamais venu en aide.

LVDP: Vous m’avez également dit qu’aujourd’hui il vous est impossible de vivre en ville sur 400 mètres carrés. Pourquoi ?

P.M.M.: Ici à Bomono-Babengué j’occupe 10 hectares. Il m’est difficile de vivre sur 400 mètres carrés, c’est comme une prison. Je suis à l’aise quand je suis en contact avec la nature.

LVDP : Avez-vous un conseil à donner aux nombreux jeunes diplômés qui ne trouvent pas toujours un emploi ?

P.M.M. : C’est l’oisiveté qui est en train de les rendre chômeurs. Si leurs parents disposent du terrain, ils peuvent démarrer une petite activité : la terre ne trompe pas mais les diplômes parfois trompent. Etre riche ne signifie pas avoir dix véhicules et dix maisons, c’est pouvoir s’acheter dix comprimés sur les vingt comprimés prescrits par le médecin ; c’est commencer par se suffire et peut-être faire manger les autres. Je leur demanderai de minimiser les diplômes et de mettre la main à la pâte.

Propos recueillis par Bienvenu Chedom Ngomoni
La Voix du Paysan n°37 février 1995

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