Pas un carrefour à Yaoundé ou Douala où on ne liquide des tomates en plein air depuis juin 2020. Mais avec quoi mange-t-on ce bon condiment? Les vivres sont hors de prix sur le marché.
Les prix de la tomate ont touché le fond dans les grandes villes du Cameroun entre mi-juin et mi-juillet 2020. Les maraichers pleurent. Les consommateurs sont heureux. On pourrait se croire loin de la pénurie alimentaire redoutée. Que non!
Il faut faire très attention. L’abondance de tomates ne veut pas dire qu’on est en sécurité alimentaire ou qu’on est autosuffisant sur le plan alimentaire. Ce d’autant plus qu’il s’agit d’une abondance de condiment et non d’un plat de nourriture en tant que tel.
Pour mieux comprendre, chaque région du Cameroun a son plat de base. Dans aucune région, la tomate ne constitue le plat de base, même pas en ville. Dans aucune famille, on ne met une marmite de tomate au feu, qu’on sert à manger aux enfants après cuisson.
Y a-t-il abondance d’igname?
Il faut être lucide et rester dans la logique du condiment afin de tirer les bonnes conclusions. Cette abondance de condiment cache la pénurie d’aliments. Pour mieux comprendre: y a-t-il aussi abondance d’igname, de macabo, de plantain, de manioc ou de riz? Tel n’est malheureusement pas le cas. Au contraire, ces vivres de grande consommation qui entrent dans les habitudes alimentaires des Camerounais coûtent très cher sur le marché.
Pour ce qui est de la tomate, si l’on applique la règle de l’offre et de la demande, on peut tout simplement dire qu’il y a eu plus de tomate dont les ménagères ont besoin comme condiment dans leurs sauces en cette campagne.
S’il y a surplus de tomates à cette campagne, la raison doit se chercher là où on a l’habitude de vendre ce surplus. Et si on va sur cette piste, on va se retrouver au Gabon et en Guinée Equatoriale qui d’ordinaire recueillent ce surplus. Avec la crise sanitaire du Coronavirus qui sévit actuellement, la fermeture des frontières bloque l’accès aux marchés frontaliers. C’est un premier angle de vue qu’il faut suffisamment intégrer.
L’autre raison est agroécologique, la tomate qu’on récolte en juin a été mise en terre dès les premières pluies en mi-mars, début de campagne agricole. C’est presque tout le monde qui sème à cette période. Normal qu’en juin, on puisse connaître une certaine abondance.
Evidemment aussi, ça arrive avec la tomate parce que c’est une denrée hautement périssable.
Inorganisation des producteurs
On peut saisir cette occasion pour faire le procès de la production et de l’accompagnement agricole au Cameroun. L’inorganisation des producteurs est un gros problème dans notre système d’encadrement.
Si les producteurs de tomate étaient organisés en coopératives fonctionnelles, leurs coopératives les alerteraient. Les moyens de communication ne manquent pas; il y a le téléphone, les sms, WhatsApp et consorts pour pouvoir contrôler les prix sur le marché et orienter la production. Les producteurs doivent prendre leurs responsabilités dans ce sens.
En outre, les producteurs sont garants de la qualité de ce qu’ils produisent. Mais quand on regarde l’état des fruits qui sont sur le marché, comment ont-ils été produits? Vu leur brillance, certains sont probablement encore bourrés de produits chimiques. Et personne ne s’en émeut.
Défaillances des pouvoirs publics
La situation actuelle met à nu les défaillances de responsabilité des pouvoirs publics. Le Minader devrait mettre sur pied un système d’encadrement un peu sérieux. Etre extrêmement sévère s’il le faut, afin d’élaguer les producteurs irrespectueux des bonnes pratiques, et faire émerger ceux qui veulent bien produire pour bien gagner leur vie en préservant celle des consommateurs. Sans un tel suivi, c’est normal que le Minader soit aussi surpris comme tout le monde par l’avalanche de tomate.
Cette abondance trahit par ailleurs les manquements au niveau de la transformation. Ça fait par exemple vingt ans qu’on parle de nécessité d’appuyer la mise en place de petites unités de découpe de poulets par les organisations de producteurs au Cameroun. Mais il n’y a toujours rien sur le terrain. Le problème de la tomate vient s’y ajouter.
Il faut relever que l’abondance de tomate dont on parle ne dure que quelques semaines. Si on crée une usine de transformation maintenant, il n’est pas sûr que le surplus de tomate qui fait jaser puisse faire fonctionner l’usine pendant une journée. On est en train d’assister à un phénomène marginal qui masque le gros problème de pénurie alimentaire.
La sécurité alimentaire du pays se jouera dans la production des denrées stratégiques. C’est cela qu’il faut impulser, sans oublier les condiments.
Marie Pauline Voufo