Les ennuis d’un employeur agricole

Le témoignage de ce fonctionnaire retraité reconverti dans le palmier à huile au Sud du Cameroun donne une idée de ce que ce secteur, considéré comme un mal nécessaire, mérite d’être régulé.

Les ouvriers agricoles dans une exploitation de palmier à huile ? Un sujet à débattre, pour au moins cinq raisons.

1- Mode de recrutement opportuniste
Le recrutement de l’employé agricole se fait généralement au pied levé et de manière opportuniste. On a besoin d’appui, on entend parler de quelqu’un qui cherche du travail, on le fait appeler. Un bref entretien à coups de «tu sais faire quoi? Tu as travaillé où? Pourquoi en es-tu parti? On te payait combien?…» Et puis on l’invite à visiter la palmeraie.
Plus malin que vous, le nouveau venu se lance en critiques effrénées de tout ce qui a été fait avant lui, vous proposant des solutions dont il assure de l’efficacité. Séduit, vous l’engagez, vous vous abandonnez à son génie et à sa disponibilité, vous lui donnez tous les moyens qu’il recommande, sans autres interrogations sur ses réelles compétences, son réel passé, sa moralité que peut trahir, pourtant sa volubilité, ses trop belles prétentions et des exigences trop modestes. Et la suite suit!

2- Le TAF (travail à faire): tout y passe
La priorité selon la nouvelle recrue, c’est moins la mise en état, la propreté ou l’entretien préalable et complet, et plus l’élagage urgent et le déparasitage afin de garantir une production rapide et généreuse. Un scénario séduisant qui entrevoit un rapide retour d’investissement.
Le propriétaire  se jette à l’eau, s’oblige à recruter un autre employé –sur recommandation de l’homme providentiel- afin de parer aux besoins accessoires de nettoyage, de collecte et de transport! La production annoncée, une fois vendue, viendra en soutien pour régler le surcroît de charges d’hébergement, d’alimentation, de soins. Oui, on est séduit. Mirage ou miracle? On ne fait pas vraiment attention aux détails. On fait confiance à son flair. Et on renforce les moyens de production: sacs de riz, poisson fumé. On se fend même en petits cadeaux, en libéralités, jusqu’à…

3- Le suivi préoccupant: que de coups de vols
Oui le suivi! Ça commence vraiment à devenir préoccupant avec la phase de récolte des régimes. Une visite de la palmeraie vous aura laissé, entre temps, beaucoup d’espoirs, mais ceux-ci tardent à se confirmer. La presse à huile acquise à prix d’or est réputée tourner à plein régime, libérant une production moyenne de 5 ou 10 litres/ha/mois. Vous vous étonnez: seulement? Et les réponses fusent: non, la pulpe n’est pas onctueuse. Non, des 300 régimes que vous avez vus en haut, la moitié était gâtée. On en a pris un peu pour manger. Le chef du village en a réclamé en noix et en huile pour chacune de ses quatre épouses, et celle du catéchiste, etc.

Puis des murmures fusent de partout, tantôt des incidents liés à la mauvaise répartition du produit entre ouvriers, tantôt un coup de vol suspect  est déclaré, tantôt tels ouvriers sont partis pour un deuil dont ils ne reviendront pas, emportant couvertures, matelas et marmites avec le réchaud. Et un jour, le rescapé qui a «pitié de vous», révèle que la vraie production moyenne était 10, voire 20 fois supérieure à celle déclarée, en même temps que vous observez l’abandon progressif de la plantation et que le village entier vous en veut d’avoir fait fuir les «gentils garçons», bons fournisseurs et bons clients.

4- Floué, on va à la gendarmerie ?
On fait quoi? On  va à la gendarmerie? Les noms mêmes qu’ils ont donnés se découvrent faux, comme tout le profil qu’ils ont soutenu. En fait, ce sont des délinquants, des aventuriers sans foi ni loi, des instables qui, avant vous et loin ailleurs, avaient ruiné d’autres planteurs et décampé, en laissant chaque fois, derrière eux, des dettes et des problèmes sociaux: grossesses, adultères, enlèvements de mineures et des palmeraies en friche en prime.
On fait donc quoi? Eh bien, on en recrute d’autres, pour tenter de récupérer ce qu’on peut encore, de son investissement, car en fait, on n’est pas toujours là pour veiller aux détails, et puis, on ne peut pas faire grand-chose soi-même, tout seul. Et, c’est reparti pour un autre recrutement, en se souhaitant sans trop y croire, d’avoir plus de chance cette fois-là! Que me conseilleriez-vous ?

5- L’intervention de l’Etat : problématique
En surfant sur des préoccupations d’ordre public, on voudra peut-être rappeler le rôle régulateur universel de l’Etat. Soit! Mais, combien de victoires citera-t-on en référence dans l’inlassable combat que mène celui-ci pour maîtriser le secteur informel en général? Envisager une intervention salvatrice de l’Etat? Sur ce point, je resterai pour longtemps encore Thomas (celui qui voit avant de croire).

– D’abord parce que la relation entre employeur particulier du secteur agricole et ouvrier agricole est une relation privée, quasi contractuelle; un échange de volontés et de consentements encadré par le principe de la liberté, et auquel l’Etat ne prend aucune part.
– Ensuite, cette relation s’établit sur le mode «trompe qui peut». Car, si la duplicité de l’employé est vilipendée, l’employeur qui va à lui n’est pas dénué d’arrière-pensées: rémunération et conditions de travail discrétionnaires, couverture sociale ignorée, recrutement hors des créneaux officiels et sécurisés jugés trop formalistes, trop transparents.
On serait tenté de dire de l’employeur floué «bien fait pour lui! Il l’aura bien cherché».

Et l’Etat viendra donc faire quoi ? Eduquer les uns ou les autres? Le voudront-ils seulement? En off, les cris que l’on entend, ne sont-ils pas ceux du voleur volé ? Et j’en passe!
– En définitive, la solution ne pourrait-elle pas venir d’une autorégulation ? Ne dit-on pas, en effet, que celui-là qui a été mordu par un serpent, s’effraie à la vue d’un simple ver de terre.

Marcel Essi – Fonctionnaire retraité – Exploitant agricole à Ebolowa
NB : Le titre et le chapeau sont de la rédaction.

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