Gagner un peu d’argent pour nourrir sa famille est l’une des raisons évoquées par celles qui disent être « obligées » de travailler comme ouvrières agricoles.
Elles cherchent un emploi temporaire, très loin de leurs enfants et époux.
Anna, mère de deux garçons en bas âge, est propriétaire d’un salon de coiffure à Bafoussam, cultivatrice aussi. Et pour couronner le tout elle est aussi ouvrière agricole. Ce vendredi c’est son mari qui travaillait déjà comme ouvrier temporaire dans le champ de maïs de l’Irad au bord du fleuve Noun qui l’a fait venir parce qu’il a trouvé une opportunité. Anna dit ne pas avoir d’autre choix que de faire ces travaux pour gagner un peu d’argent. « J’ai arrêté mes études en classe de seconde au lycée bilingue de Bafoussam. Par la suite, j’ai appris à faire la coiffure. J’ai mon salon. Mais la clientèle abonde en période des fêtes. Comme je ne veux pas chômer le reste du temps, je fais mon champ. » Son histoire jusque-là est intéressante et rien d’anormal. Mais lorsqu’elle justifie son statut d’ouvrière agricole on est étonné. « Je n’ai pas assez d’argent pour acheter les engrais qui, comme vous le savez, coûtent trop chers, pour mettre dans mon propre champ. Je travaille ici pour avoir l’argent qui me permettra d’acheter ces engrais. » A la question de savoir si elle ne pouvait pas prendre un crédit, elle se redresse comme piquée par un insecte. « Qui donne les crédits aux agricultrices ? Personne. Aucune banque. Vous voyez que nous sommes obligées de faire de la débrouillardise pour avoir les intrants agricoles. »
Bien évidemment, cela se reflète sur leurs activités tant en termes de qualité que de quantité. « Même si j’avais assez de terre, je ne prendrai pas le risque de semer sur plusieurs hectares parce que je n’aurai pas de semences, des engrais et des produits phytosanitaires. Et les appuis du ministère de l’Agriculture et autres projets et programmes alors ? « Monsieur vous pouvez m’aider à les obtenir ? Cette affaire de financement des projets du Minader est très compliquée, ceux qui y vont savent comment ils font. »
Malgré les difficultés, Anna ne désespère pas. Elle espère que progressivement elle retrouvera son équilibre pour ne plus faire ce travail si pénible et mal payé selon elle « Voyez ces sillons, monsieur, ils ont 100 m de longueur. On vous demande de sarcler et buter 15 sillons de 100 m pour une modique somme de 5000 F CFA. Malgré mon jeune âge et mon énergie, cela me prendra au moins deux jours. Ce qui signifie que je travaille pour 2500 F CFA par jour. Une fois terminé, vous imaginez la fatigue qui me limite par rapport à mes obligations de mère et d’épouse »
Leticia est une jeune femme Bamoun venue ce jour avec ses enfants. Elle travaille avec le dernier sur le dos, et les deux aînés qui n’ont pas classe ce vendredi « sont venus me donner un coup de main pour qu’on finisse vite. » Ce n’est pas de gaieté de cœur que cette jeune femme doit faire ce travail. Elle a son champ mais qui ne peut pas lui donner autant d’argent, de nourriture parce que c’est un petit champ. Elle a un atelier de couture mais « tout le monde s’habille avec la friperie et nous n’avons plus de clients. » Elle ne sait plus si elle est couturière, agricultrice ou ouvrière agricole. « Je suis au champ de l’Irad pour les semis, pour le sarclage, pour l’épandage des engrais, que ce soit pour la culture du maïs ou du haricot, je suis là quand il y a du travail. »
Quand la terre manque
D’autres femmes, notamment celles venant de Bamendjou qui ont accepté de nous dire quelques mots sur leur vie, affirment que leur vœu aurait été de travailler dans leurs propres champs. Elles mangeraient à satiété avec leur famille et vendraient le surplus pour gagner de l’argent et surtout « nous n’abandonnerions pas nos maris et nos enfants qui vivent mal sans nous à leurs côtés. »
Comme une seule femme elles reprennent en chœur : « donnez-nous la terre pour que nous la cultivions.»
Nous n’avons pas fait une enquête scientifique sur la question, mais il semble que le manque de terre à cultiver et les nécessités de gagner de l’argent pour acheter les intrants agricoles ou satisfaire d’autres besoins urgents sont à l’origine de ce métier d’ouvrière agricole qui a des effets néfastes sur la santé des concernées (logement indécent, alimentaire très maigre, exposition aux intempéries et autres risques de maladies), sur leur famille ( risque de polygamie : le mari est tenté de prendre d’autres femmes pour garantir une présence féminine à ses côtés), la délinquance des enfants surtout quand le père n’a pas la conscience de veiller sur leurs mouvements et sur ce qu’ils font entre amis ou avec les filles ou les garçons du village.
Martin Nzegang
Ouvrières ou esclaves agricoles ?
Dans des conditions très difficiles, des femmes partent travailler dans des exploitations agricoles à des dizaines de km de leurs familles.
Vendredi 7 mai 2015, nous sommes à Fenkam, village situé à 18 km de la ville de Bafoussam et à 1km du pont sur le Noun. Dès 6 h du matin, des femmes, des filles en vacances scolaires, sont assises sur des troncs d’arbre ou tout autre siège de fortune attendant un hypothétique employeur. Dès qu’une voiture personnelle, un taxi de brousse ou un car de transport s’arrête, elles courent se positionner devant la ou les personnes qui en descendent et proposent leur service. Elles ont l’outil principal : la houe. Certaines en ont deux. « Si le terrain est difficile on va employer la houe solide », précise l’une d’entre elles à qui les autres reprochent de trop parler à un inconnu se présentant comme journaliste à La Voix Du Paysan. L’employeur n’a donc aucune obligation de leur fournir le matériel de travail, aucun équipement et aucun engagement en cas d’accident ou de maladie.
Payées à la tâche
Ici on ne paie pas en terme de journée de travail mais à la tâche. L’exploitant montre l’espace où doit s’effectuer une tâche précise : labour, sarclage…Lorsque les deux parties tombent d’accord les termes de contrats s’exécutent. Ainsi il arrive que pour une seule journée ces femmes travaillent dans une ou deux exploitations. Elles évitent de chômer car elles ont des familles qui les attendent avec le fruit de leur labeur.
Les femmes que nous avons rencontrées à Fenkam sortent de Bamendjou, pour la plupart, d’autres viennent de Foumbot voisin ou plus loin encore de Foumban. Elles séjournent 4 à 5 jours dans ce village. Les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Notamment en ce qui concerne le logement. Il n’y a pas de maisons préparées pour accueillir ces ouvrières saisonnières. Elles doivent alors louer les salons des résidants et y passer la nuit…à même le sol, sur une natte ou une étoffe. « Il y a quelques années, je logeais dans le salon de ma maison parfois 50 à 100 personnes. Elles dormaient toutes au sol. Certains avaient une natte et d’autres leur pagne. En retour, ils travaillaient dans mon champ pour payer le loyer», confie,Monsieur Fotié, fils du village Kouekong, ancien employé de l’Irad à la retraite, mais qui est revenu dans son ancienne institution comme conducteur des équipes d’ouvrières et d’ouvriers dans les exploitations de l’Irad.
Les conséquences dans les ménages et sur les enfants sont énormes. Imaginez les enfants qui dans nos traditions sont essentiellement élevés par leurs mamans. Que font-ils après les cours, pour ceux qui vont à l’école ?
Dormir à même le sol est pénible, surtout que le lendemain on doit continuer avec des travaux tout aussi pénibles. De plus quel est l’état de santé de ces personnes qui dorment ensemble ? On imagine que des personnes saines peuvent en repartir avec des maladies. Travailler dans ces conditions est suicidaire mais « est qu’on a le choix mon frère ? », se résignent-elles.
MN